INTERVIEW / Nous avons rencontré Feu! Chatterton avant leur concert à Musilac !
Alors que le festival Musilac inaugure sa dix septième édition, en coulisses, les concerts se préparent. Feu ! Chatterton est de retour après un concert mémorable en 2016, lequel avait déjà marqué les esprits. Infoconcert a eu la chance de rencontrer le groupe peu avant le concert, sous un soleil radieux au bord du Lac du Bourget.
Arthur, le chanteur du groupe, et Sébastien, à la guitare et au clavier, répondent à nos questions.
Infoconcert : Vous êtes venus à Musilac il y a deux ans. Quel souvenir en gardez-vous ?
Sébastien : il y a deux souvenirs, je pense. Le lac, dès ce matin où nous sommes tout de suite allés se baigner. On sait que ce festival est marqué de son cadre. On garde aussi un souvenir particulier car c'était la première fois où nous faisions un gros festival. Nous étions passés après Mass Hysteria, qui avait un énorme son. Nous étions vraiment très stressés. Progressivement, nous sommes rentrés dans le concert. Nous avons appris à adapter notre set pour qu'il ait une puissance suffisante face à des groupes. Musilac est un festival emblématique en France.
Infoconcert : Sur ce festival, les deux scènes sont à côté, et les styles des artistes peuvent être vraiment différents. Est-ce un défi ?
Sébastien : Oui, c'est un défi de jouer avec des artistes différents, et surtout quand ils sont puissants, notamment en terme de public. Nous sommes un groupe qui n'est pas encore très gros, et c'est intéressant aussi d'aller chercher du public. Aujourd'hui, beaucoup de monde va venir voir Depeche Mode ou Simple Minds. Il y a peut être des gens dans ce public qui pourraient être sensibles à notre musique, et en festival, on peut enfin rencontrer ces gens.
Arthur : Parfois, il y a des affiches qui peuvent sembler incohérentes, mais ce soir c'est incroyable. Des groupes comme les Stranglers, ou même Depeche Mode nous ont inspirés. On se retrouve dans une affiche qui est très rock, et même le versant hip hop de Lomepal, c'est un truc qui a un lien avec la langue, ce qu'on promeut. C'est une affiche assez cohérente, assez belle ce soir.
Infoconcert : Depuis quelques années, le fait chanter en français se débride. Pour vous, le français est apparu comme une évidence ?
Sébastien : La question ne s'est jamais posée car à l'origine du groupe, nous voulions mettre les textes d'Arthur en musique. Il a toujours écrit en français. La question ne se pose pas pour le rap, par exemple. Dans le rock, il y a eu ce truc assez particulier de chanter en anglais, mais nous, on essaie de retranscrire et de transmettre des émotions. Le faire en anglais, ce serait difficile pour nous.
Arthur : L'important dans la musique, c'est de la faire, d'avoir des émotions partagées avec du public, de raconter des histoires. Tu crées du sens et tu en trouves pour toi-même.
Sébastien : Je pense que le public est de plus en plus sensible à la langue, aux histoires. Le public qui écoute la chanson, ou le rap, c'est déjà un public qui est sensible aux textes. `
Arthur : C'est vrai qu'on a de la chance d'être dans un pays avec une culture populaire. On a beau parler d'appauvrissement de la langue, on sait que les gens sont friands de la culture populaire, avec leur propre langue et comment elle va être maniée. Même avec les premiers grands chanteurs comme Piaf ou Brel, c'était déjà un mélange de culture populaire et de poésie.
Infoconcert : Vous ouvrez votre deuxième album, L'Oiseleur, en parlant et non en chantant (Je ne te vois plus). Êtes-vous touchés par certaines voix de la chanson française ?
Arthur : Je parlerai plutôt de Serge Gainsbourg, plus que de la vague slam qui est arrivée dans les années 2000. Parfois, la chanson s'affranchit de la mélodie, même si elle est très riche pour partager des émotions. Se servir de la musique comme d'un soutien à un conteur, en se passant de la mélodie, parfois c'est puissant. Il y a des chansons de Gainsbourg, je pense à Variations sur Marilou, la voix parle. C'est une chanson qui repose déjà sur le rythme
Infoconcert : Sur la pochette de l'album L'Oiseleur, il y a une sorte de contraste entre vos tenues qui sont sombres et classes, et en même temps il y a beaucoup de couleurs, avec certains objets comme une pomme...
Sébastien : La grenade ! (rires)
Arthur : Ah mais c'est bien d'y voir une pomme ! Les contours et les symboles sont assez flous. Cet album est beaucoup plus évocateur que le premier qui était très narratif. L'idée ici est d'inviter l'auditeur au voyage, à son propre voyage. Les chansons sont ouvertes, il y a des sortes de flashs mais on peut y mettre ce que l'on veut. On peut y voir une grenade, ce que c'est au départ. C'set le fruit de la profusion, de l'intensité, mais il y a aussi quelque chose de menaçant. Ou bien la pomme qui est le fruit du pêché. On peut y voir ce qu'on veut ! Le fait d'avoir ces symboles sur la pochette est une manière de dire que l'on se repose sur des totems, des fétiches, des symboles, un oiseau, qui vont être des véhicules pour le voyage.
Dans le premier album, Côte Concorde parle d'un sujet d'actualité. Mais dans un album aussi évocateur que L'Oiseleur, êtes-vous quand même marqués de certains évènements ?
Sébastien : Je pense qu'il n'y a pas de morceau original dans le texte qui parle directement d'actualité, mais il y en a un qu'on a choisi de mettre car il parle de comment on perçoit l'actualité. C'est Zone Libre, un texte de Louis Aragon. Peut être parce qu'elle était difficile à percevoir, il a fallu la médiation d'un pair, Aragon, pour essayer de délimiter ce qu'on ressentait. Dans ce texte, ce qu'il en ressort, c'est la sensation de ne pas avoir de prise sur ce qu'il se déroule depuis des années, notamment les attentats de 2015. Et pourtant, c'est un texte qui a été écrit en 1942, pendant la Guerre. A ce moment, Aragon était en zone libre, profitait de l'été tout en sachant qu'il y a la guerre de l'autre côté de la frontière. Il est dans une ambivalence, et parfois, nous avons ce sentiment d'impuissance, tout en essayant de donner un peu de gaieté dans la vie. C'est aussi notre rôle, en tant que musiciens.
Arthur : L'album est conçu en réaction à la violence qui a investi le quotidien depuis au moins les attentats de Charlie Hebdo, et le Bataclan. On a ressenti que la menace est pour chacun. Le fait que cette violence s'invite dans notre génération, alors que pour nous, la Guerre fait partie de l'Histoire, est quelque chose que l'on garde comme une alarme. L'album est en réaction à cette violence car nous l'avons construit comme un refuge. Nous sommes démunis face à cette violence, et même si, à titre individuel nous pouvons avoir des solutions, ça peut être difficile. Ce qu'on peut faire de mieux, c'est peut être apporter de la douceur, de l'espoir. C'est peut être naïf, mais on sent que les gens se sentent menacés. Il y a eu un temps un peu crispé de nerfs, d'inquiétude et de colère. On veut construire un abri, un refuge, qui n'est pas forcément à prendre au passé. C'est peut être la construction d'un ailleurs à venir, qui est possible ! Il y a une idée de bienveillance. On se dit que si l'on s'ouvre, on s'expose, mais je prend aussi le risque de construire quelque chose. C'est même pas un risque, c'est un engagement.
Interview par Sébastien Martinez