ROGER FAKHR

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L'hégémonie du streaming prive les auditeurs du storytelling des albums qu'ils découvrent. Seuls les acquéreurs d'une copie physique des deux albums de Rogér Fakhr sortis en vinyle et CD ne se sont pas étonnés à l'annonce de sa tournée européenne qui passe par Paris, Bruxelles et cinq dates à travers l'Angleterre. Il a été beaucoup question de comparassions et de surnoms tels que le « sugarman du Liban » ou « Rodriguez du monde arabe ». Le public du concert parisien, majoritairement jeune, échange dans la salle avouant avoir toujours pensé que le musicien libanais n'était plus de ce monde. Le livret des disques raconte le long chemin et les quelques années de refus de ‘l'artiste aux archives retrouvées' avant d'accepter de rééditer sa musique. Roger Fakhr (prononcer fararr) vit depuis des années en Californie après une vie de voyages dont beaucoup de séjours à Paris à l'époque de la guerre au Liban. Ses deux albums sont des restaurations de vieilles cassettes (K7 !) distribuées dans les années 70's à Beyrouth de manière confidentielle. Il s'agit de toute la démarche du label berlinois Habibi Funk, fondé par un passionné sous l'impulsion de la découverte d'une pépite dans la médina de Rabat lors d'une visite au festival marocain Mawazine en 2012. Depuis, les légendes s'enchaînent et de récentes sorties révèlent de nouveaux artistes avec un répertoire actuel. C'est le cas de Charif Megrabane, libanais également, installé à Lisbonne, qui accompagne notamment Rogér Fakhr durant sa prestation.

La Bellevilloise, salle parisienne du XXème arrondissement, déborde tel qu'un concert évènement pouvait le laisser imaginer. Roger débute avec une prestation d'une heure alternant les instants solo folk acoustiques et les passages en groupe, cadencés et câblés. Quel que soit le climat, c'est à l'image de ses disques que tout son registre visite la Californie même si les titres datent de ses années de jeunesse au Liban. Le public en masse reste attentif, concentré et digne de l'intimité des morceaux les plus doux. Rogér Fakhr est bouleversant dans les moments folk, sans minimiser les comparaisons récurrentes avec les plus grands tels que Leonard Cohen, Nick Drake et carrément Dylan sur quelques passages. Les séquences les plus éclectiques et enjouées sont parfois moins en place, mais le charme et charisme de l'auteur interprète dominent. La guitare de Charif Megrabane semble chercher la route des Touaregs, qu'il trouvera sans aucun doute sur son propre set en deuxième partie.
Celui que l'on croyait disparu, loquace et communiquant avec son public, terminera en avouant une certaine fatigue. Il y aura tout de même un court rappel avant de quitter la scène sur ces derniers mots : «maintenant je dois vraiment aller au lit »... à son tour de rêver.

Le jeune Charif Megarbane enchaîne très rapidement, gardant avec lui la section rythmique. Une digne suite qui parvient à garder une salle bien remplie, à peine plus aérée. En groupe, le second concert de la soirée est instrumental et très cinématographique. Le public aura même droit à une reprise du grand Ahmed Malek, autre légende du label allemand, qui pérennise l'œuvre de ce compositeur de musiques de films algérien disparu en 2008. Charif joue avec les notes et les sonorités pour faire cohabiter tant de références inattendues. Les arpèges de Tinariwen avec ceux de Johnny Marr (période Smiths) ou Fools Gold marquent une étape et emmènent encore plus loin que ses congénères de Khruangbin, qui plus est avec tout un héritage oriental.

Report par Hervé Riesen